Études théâtrales
Alice Folco, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Je suis maîtresse de conférences en arts du spectacle, à l’UMR Litt&Arts. Originellement, je viens de la Littérature, et je suis ensuite passée en Études théâtrales : je n’ai donc jamais reçu de formation méthodologique en Histoire, et encore moins été initiée d’emblée aux concepts et aux subtilités de l’Archivistique. J’ai néanmoins une pratique des archives, qui combine à la fois une forme d’expertise – entendue comme la capacité à traiter de manière critique un certain nombre de traces qui peuvent documenter l’histoire matérielle de la mise en scène au XIXe et XXe siècles – ; et une expérience concrète de fonds très variés, liée d’abord à l’exploration de ressources déposées dans diverses archives publiques, bibliothèques, musées, théâtres, etc., puis à l’identification de matériaux divers, et notamment de maquettes scénographiques, et enfin à la collecte de documents visuels ou sonores pour la salle « Archives » de la MaCI.
J’ai donc longtemps utilisé le terme archive dans son sens courant, et un peu magique : j’étais en quête de « trésors » cachés, émerveillée par la matérialité, brute et surannée, des anciens programmes de théâtres, des papiers en tête de courriers encore manuscrits et autres diapositives abandonnées en vrac ; fascinée par l’aura d’« authenticité » que confèrent les traces de peinture laissées sur mes doigts par des maquettes de décor non encore identifiées. Et puis, notamment grâce à des textes de Marion Denizot sur les archives du spectacle, j’ai appris à affiner mon vocabulaire : je préfère désormais utiliser le terme « archives » au pluriel, pour désigner une institution, ou un ensemble de traces conservées de manière (plus ou moins) organisée. Pour les items eux-mêmes (objets, papiers, images, etc.), j’essaie d’osciller entre « document » et « source », mots qui témoignent surtout de l’usage que j’en fais, puisque je me définis désormais comme « historienne des spectacles », enquêtant sur des corpus précis avec l’idée d’essayer d’établir autant que possible des faits.
Il n’empêche, il y a aujourd’hui, dans mon rapport « aux archives », à la fois une trace de ma naïveté initiale (la fascination pour les vestiges sensibles de spectacles à jamais disparus, pour les objets qui déclenchent une reconstitution imaginaire des temps passés), et un attachement à en souligner la valeur probatoire. Dans le cas particulier des arts de la scène, où l’œuvre manque par définition, dès lors que le spectacle s’évanouit à peine terminé, la trace sauvegardée vient, en effet, témoigner d’une pratique disparue. Mais pour que l’archive scénique ait force de preuve, il faut, évidemment, qu’elle soit envisagée dans une perspective critique, qui permette de donner une forme de garantie à l’histoire que l’on écrit, mais il convient aussi que l’on trouve des formes adéquates pour la rendre visible, et pour ainsi dire lisible, aujourd’hui.
Concernant ce dernier enjeu, historique et mémoriel, de valorisation des matériaux recueillis, j’ai pour l’instant surtout travaillé dans deux directions. D’un côté, une interrogation générale, et quasi métaphysique : au-delà de l’écriture historique, par quels gestes (documentaire, artistique, autre ?), faire persister, et résonner aujourd’hui, les archives de spectacles que plus personne n’a vus, et que personne ne verra plus jamais ? De l’autre côté, un certain volontarisme historiographique, fondé sur la conviction que des archives inédites, peu exploitées ou nouvellement constituées, pourraient venir faire bouger les lignes de l’histoire des arts de la scène, et participer du grand travail, que nous sommes nombreux·ses à mener, de cartographie des « oublis » de l’histoire du théâtre : les femmes, les professions non « artistiques », les genres dit « mineurs », etc. – et en ce qui me concerne, essentiellement la « province ».
Pour prolonger :
Alice Folco, « De l’intérêt des sources non artistiques pour penser le geste créateur : archives municipales et décoration théâtrale », Fabriques, expériences et archives du spectacle vivant, B. Boisson, M. Denizot, S. Lucet (dir.), PUR, 2021.
Pour citer : Alice Folco, « Archive », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177591
Études circassiennes
Lucie Bonnet, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Je m’appelle Lucie Bonnet et suis actuellement en première année de doctorat en arts de la scène à l’Université Grenoble Alpes. Le milieu artistique duquel je suis issue et qui constitue le cœur de mes recherches est le cirque. Au regard de mes pratiques corporelles et scientifiques, cette contribution vise à illustrer la notion d'archive.
La notion d’archive est rapidement convoquée et intégrée dans une démarche de recherche, mais elle finit par se parer d’une toute autre signification lorsqu’on est en charge de la production de ces documents témoins. Cette notion fait question dans les arts de la scène dont le caractère éphémère se heurte à toute démarche d’archivage, comprise souvent comme une tentative de paralysie temporelle. Dans le cadre de deux différentes expériences de stage de mon master Création artistique, parcours Arts de la Scène, j’ai été confrontée à une partie des problématiques que soulève cette notion dans les domaines de la danse et du cirque.
Dans le cadre du projet « Archives plurielles de la Scène » du programme OPSIS, j’ai contribué et contribue encore, à un travail d’archivage du cirque en plusieurs volets (Cirque à Grenoble, Collection Jean-Christophe Herveet, etc.). La notion d’archive est ici entendue de façon plutôt conventionnelle : dans une salle dédiée, des documents sont entreposés et sont passés entre les mains de personnes méticuleuses et attentives à leur transmission et conservation. Pourtant, ces archives ont la particularité de se concentrer sur les arts du cirque qui pourraient être qualifiés d’amnésiques face à leur difficulté à affirmer, acter et conserver une histoire et culture circassiennes. Le terme archive s’augmente ici d’un acte quasi militant qui consiste à pallier, pas à pas, aux lacunes mémorielles que le cirque subit. À la lumière de cette première plongée dans les archives, il me semble que ce terme, parfois poussiéreux, sous-entend une grande responsabilité pour l’archiviste. La sélection des documents, la méthode de classement, le choix du stockage sont autant de décisions qui influent sur la façon dont l’histoire du cirque sera reçue. Pourtant, tout au long de cette expérience, j’ai eu le sentiment d’être un intermédiaire entre le vécu des artistes, l’histoire du cirque qui se compose pas à pas et les potentiels curieux de ces fragments de vie.
D’autre part, j’ai participé, et participe encore, au projet « Gestes et Fréquences » du Performance Lab. Ce chantier a conféré une toute autre signification à la notion d’archive, laquelle s’est d’ailleurs peu à peu transformée en « traces ». Pour ce workpackage, l’enjeu est de repenser la méthodologie de création des traces en danse et, pour cela, de mettre au point une archive multimodale mettant à profit diverses technologies (capteurs et caméra pour la captation du mouvement, avatar 3D, entretiens, interface numérique). Ce projet prend à contrepied le type d’archivage que la danse a connu jusqu’ici, lequel se limitait à des données audios ou vidéos qui excluaient globalement les interprètes. L’archive est ici une tentative d’approche de la réalité du danseur et de son corps mémoire, en intégrant une pluralité de strates, notamment son histoire orale et la dramaturgie interne qui se dessine pendant l’acte performatif. Cette expérience a été très fondatrice pour moi, car elle vient contredire le paradoxe selon lequel les arts vivants ne peuvent être efficacement archivés à cause de leur caractère éphémère. En effet, l’interprète est le porteur d’une mémoire extrêmement vive dont la réactivation ouvre l’accès vers le temps passé du spectacle. Dans ces deux cas, l’archive devient protéiforme et se revendique comme l’approche d’une réalité passée. Ces traces sont légitimées par la nécessité de faire entendre des voix souvent tues, ignorées ou silencieuses. Suite à ces expériences, la notion d’archive, ou de traces, est sans cesse réinvestie dans mes travaux de recherche qui prennent appui sur une archive vivante et incarnée : le corps.
Pour citer : Lucie Bonnet, « Archive », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177591