Agentivité Agency

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Bibliographie

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Définition

Agentivité est un néologisme forgé pour traduire le terme anglais agency. Mobilisée notamment en philosophie et en sociologie, la notion d’agentivité désigne la « capacité d’action » ou la « puissance d’agir » d’un être. Elle peut ainsi être appliquée à des entités de natures différentes, qu’on leur reconnaisse ou non une forme d’intentionnalité. Il est à noter qu’en psychologie, le terme peut être employé pour désigner « le sentiment d’être acteur » d’un processus.

Pour citer : « Agentivité », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177585

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Date de création : 2021-06-09.

Dernière modification : 2022-06-29.

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Bibliographie

« When we make voluntary actions we tend not to feel as though they simply happen to us, instead we feel as though we are in charge. The sense of agency refers to this feeling of being in the driving seat when it comes to our actions. »

James W. Moore, « What Is the Sense of Agency and Why Does it Matter? », Frontiers in psychology, 7, 2016, p.1272 [en ligne] : 10.3389/fpsyg.2016.01272 (23/03/21)


« En fait, il y aurait agentivité lorsqu’il y a possibilité de faire les choses autrement et donc lorsque d’autres possibilités s’offrent également à l’agent. »

Émilie Morin, Geneviève Therriault et Barbara Bader, « Le développement du pouvoir agir, l’agentivité et le sentiment d’efficacité personnelle des jeunes face aux problématiques sociales et environnementales : apports conceptuels pour un agir ensemble », Éducation et socialisation, 51, 2019, [en ligne] : https://doi.org/10.4000/edso.5821 (02/06/21), paragraphe 18


« Agency encompasses all the goals that a person has reasons to adopt, which can inter alia include goals other than the advancement of his or her own well-being. »

Amartya Sen, The Idea of Justice, Cambridge, Ma.: Belknap Press, 2009, p.287

Études en littérature
Carrie Noland, Professeur de littérature française et comparée, Université de Californie, Irvine

Est-il possible que chaque acte que j’accomplis, chaque décision que je prends, soient surdéterminés par des forces que je ne peux pas identifier ? Suis-je appelée (« interpellée ») à l’existence uniquement pour servir de réceptacle à la volonté d’une institution, d’un impératif biologique, d’une puissance qui me dépasse ?

J’ai commencé ma carrière professionnelle en tant que spécialiste de poésie, mais ai rapidement intégré à mon travail des questions liées à la performance. J’ai été frappée – en passant de l’écrit à l’oral – par le fait qu’à chaque fois qu’une inscription est incarnée, cette inscription est en quelque sorte transformée. J’étais curieuse de connaître les forces, les agentivités, qui régissent cette transformation.

Lorsque Patti Smith entonne des vers de Une saison en enfer de Rimbaud sur un album, le poème sonne assez différemment de la version de mon professeur de français à l’Université. De même, la performance de Nijinski dans la version de 1912 de L’après-midi d’un faune n’est que partiellement reproduite dans celle de Rudolf Noureev en 1983. Les facteurs responsables des différences entre ces deux performances, ces deux itérations, sont plus que physiologiques. Influencent également la transformation de la danse : la formation de l’interprète, son habitus culturel, ainsi que ses tendances personnelles et ses choix esthétiques. Nous pourrions ainsi parler dans ce cas d’agentivité distribuée : de nombreuses influences se conjuguent pour contraindre Noureev à bouger d’une façon différente de celle de Nijinski. Plus généralement, nous pourrions affirmer que dans tout cas de comportement répété, de multiples sources de puissances se combinent pour déterminer la performance idiosyncrasique d’un individu. Ce que j’ai entrepris de faire dans Agency & Embodiment: Performing Gestures/Producting Culture était donc d’inventorier ces multiples sources, de mieux comprendre la composition de l’agentivité et, si possible, de dégager ce qui pourrait être considéré comme son élément subjectif inexplicable. Je voulais savoir si les altérations de la performance – ou plus largement, du comportement – sont aléatoires (des actualisations purement aléatoires d’un potentiel sans mesure), surdéterminées par le conditionnement social (formation disciplinaire, coercition intériorisée), ou des cas de manifestation d’un libre arbitre individuel.

De nombreuses théories de l’agentivité en philosophie et en sciences politiques se concentrent sur la notion de liberté, le pouvoir exercé par l’individu pour évaluer, analyser, juger, décider et agir. Dans mon propre travail, cependant, je me suis davantage intéressée au rôle du corps dans la prise de décision et la conduite de l’individu. Comment se fait-il que les gens innovent, même s’ils ont été disciplinés pour se comporter de manière particulière depuis leur naissance ? Comme l’ont affirmé plusieurs théoriciens, de Gabriel Tardes à Judith Butler, la source de l’innovation peut être liée à la capacité de répéter ou d’imiter, qui reposent toutes deux sur la plasticité des êtres humains face aux circonstances – en constante évolution – de la vie. L’imbrication de l’innovation dans la répétition est particulièrement évidente dans les pratiques du mouvement. Lorsqu’une chorégraphe produit des séquences inventives ou de nouveaux pas, elle puise dans un répertoire acquis d’autres façons de bouger, d’autres « je peux » (Edmund Husserl, Maurice Merleau-Ponty). Mais qu’est-ce qui pousse cette chorégraphe à changer ce qu’elle a appris, à transformer le « je peux » ?

Je n’ai jamais été à l’aise avec la réponse de Michel Foucault à cette question : qu’un pouvoir amorphe et omniprésent discipline et régit mon comportement, ou que c’est le discours qui me prête une subjectivité, me permettant de changer ce que je fais en m’offrant une nouvelle position dans une chaîne signifiante. Une réponse alternative est offerte par le yoga Iyengar, une méthode introspective que je pratique depuis plus de trente-cinq ans. Créée par B. K. S. Iyengar, cette forme de yoga m’encourage à explorer les « trous noirs » de ma conscience corporelle et à les remplir de sensations. Par la pratique du yoga Iyengar, j’ai cherché à cultiver ce que Thomas Csordas appelle des « modes d’attention somatiques », essayant ainsi d’accroître ma capacité à ressentir ce que font les parties de mon corps et à changer mes habitudes de mouvement. On pourrait soutenir que ce que je crois être des sensations (les expériences de mon corps) ne sont que des constructions discursives. Iyengar, pourrait-on dire, fournit des images suggestives qui me font penser que j’ai localisé des muscles, quand en réalité, c’est l’agentivité du langage (non mon agentivité subjective) qui construit cette expérience. Mais j’adhère plutôt à l’affirmation de John Lucy, selon laquelle les images spécifiques (ou les langues en général) constituent des catégories d’expérience « volontaires » ; elles donnent accès à une sensation mais ne la construisent pas. En apprenant de nouveaux langages pour transmettre l’expérience, en cultivant davantage de modes d’attention par la pratique, j’élargis activement ma capacité à faire la différence.

Cela revient à dire, pour conclure, que l'agentivité est une entité aux multiples facettes et à plusieurs membres. En tant que force qui traverse (et éveille) notre corps, l’agentivité engendre notre contribution ; elle devient quelque chose que nous pouvons nous aussi exercer, nous ouvrant à un monde qui nous influence et que nous influençons à notre tour. L’agentivité, souvent considérée comme l’indice même de la subjectivité individuelle, peut en définitive être la preuve de notre intersubjectivité. Quelque chose d’extérieur à moi, à mon corps, a offert les moyens par lesquels mon corps peut accomplir un soi.

Pour prolonger :

Carrie Noland, Agency & Embodiment: Performing Gestures/Producting Culture, Cambridge, Ma.: Harvard University Press, 2009

Pour citer : Carrie Noland, « Agentivité », traduit par Laure Fernandez, Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177585

Laura M. Ahearn, « Agency », Journal of Linguistic Anthropology, 9, 1, 1999, pp.12-15

Joan G. Miller, Rekha Das, Sharmista Chakravarthy, « Culture and the Role of Choice in Agency », Journal of Personality and Social Psychology101, 1, 2011, pp.46-61

Alfred Gell, L’art et ses agents : une théorie anthropologique, traduit par Olivier Renaut, Sophie Renaut, Dijon : Les Presses du réel, 2009 [1998]

Aurore Monod Becquelin, Valentina Vapnarsky, dirs., « L'agentivité Ethnologie et linguistique à la poursuite du sens », Ateliers du LESC, 34, 2010 [en ligne] : https://journals.openedition.org/ateliers/8515 (05/05/21)

Amartya K. Sen, « Well-Being, Agency and Freedom: The Dewey Lectures 1984 », Journal of Philosophy82, 4, 1985, pp.169-221

Susan P. Shapiro, « Agency Theory », Annual Review of Sociology, 2005, 31, 1, pp.263-284