Arts contemporains, urbanisme - Nicolas Tixier, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, ENSAG (School of Architecture Univ. Grenoble Alpes), AAU_Cresson, 38000, Grenoble, France
Architecte, le champ abordé dans mes recherches, projets et expériences pédagogiques questionne ce que l'on peut regrouper sous le terme de « chose publique » que l'on entendra ici non comme une chose, mais comme une composition, « théâtre de l'action autant que comme société » (Isaac Joseph). Mes travaux actuels portent principalement sur le transect urbain, comme pratique de terrain, technique de représentation et posture de projet. Entre héritage et fiction, j'interroge les territoires et leur fabrique par les ambiances (Tixier 2023).
Le transect consiste à opérer une traversée selon une ligne donnée. Il se présente comme un dispositif hybride entre la coupe technique et le parcours sensible. Il se construit par le dessin, la photo, la mesure, le texte ou la vidéo, autant qu'il se pratique in situ, par la marche principalement.
Comme tel le transect permet d'articuler pour l'urbaniste, l'architecte ou le paysagiste, deux postures habituellement dissociées, celles de l'analyse et celle de la conception. Une application importante du transect dès la fin des années 80 a été celle proposée par le New Urbanism qui en a fait un outil majeur de dessin avec des règles opérationnelles permettant de codifier l'évolution d'un lieu en fonction de ses formes. (Andrés Duany, Sandy Sorlien, 2021).
L'usage du transect aujourd'hui mobilise de nombreuses disciplines et techniques de représentation. Dans ses applications, le transect emprunte à l'inventaire sa capacité à repérer et collecter les situations les plus différentes, il renvoie aux atlas mnemosynes d'Aby Warburg et au paradigme indiciaire de Carlos Ginzburg, où le passage du plan au fil de la coupe permet de déployer la ville dans son épaisseur sociale, environnementale, historique autant que projectuelle. En termes deleuziens, nous en faisons le symbole d'une approche de la ville « par le milieu ».
Le transect peut facilement devenir une pratique collective, un espace de travail partageable et amendable entre les acteurs d'un territoire – habitant, expert, mais aussi décideur et concepteur. Entre le grand récit, historique, d'une ville ou d'un territoire et les micro-récits, pragmatiques, de l'usage, le transect se propose comme un instrument de narration performatif pour saisir les situations et les ambiances urbaines et penser celles de demain.
La pratique du transect est aussi relativement fréquente dans le champ artistique pour qui travaille sur l'urbain en particulier. On pense, parmi de nombreux autres possibles, aux travaux photographiques d'Edward Ruscha avec Every Building on the Sunset Strip (1966), à ceux de Gordon Cullen avec Townscape (1964), à ceux de Robbert Flick avec ses Sequential Views (1980-1986), ou encore à ceux de Philip J. Ethington sur les Ghost Homes (2001), mais aussi à tout le courant des artistes post-situationnistes utilisant la marche dans leur travail comme Francis Alÿs, Laurent Malone, Hendrik Sturm ou encore le collectif Stalker.
Le transect apparaît potentiellement comme une puissance de décadrage du fait de la non-appartenance à des catégories préalablement définies des éléments mobilisés et des échanges qu'il provoque. Il propose aussi une critique implicite des productions urbaines courantes tel le zonage, en remettant au centre des débats les singularités locales et les pratiques habitantes, afin de mieux saisir l'existant et travailler le devenir des lieux par et avec leur milieu en quelque sorte.
Pour citer : Nicolas Tixier, « Transect », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/849107