Cartographie sensible Sensitive mapping

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Définitions

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Textes rédigés par des chercheurs/artistes à partir de l’expérience de leur terrain d’étude.

Bibliographie

Sources bibliographiques prolongeant les citations.

Définition

La cartographie sensible est un outil méthodologique développé dans le champ de la géographie humaine afin de rendre compte des formes subjectives de perception de l’espace. Elle est pensée comme une alternative aux modalités de représentation objectivante de l’espace. Elle leur préfère une approche incarnée et située dans le corps de la personne qui les produit, et sa signification émerge d’une recherche plastique. Du fait de leur nature subjective, les cartographies sensibles font fréquemment l’objet d’un travail de création participatif avec les acteurs du terrain enquêté.

Pour citer : « Cartographie sensible », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177603

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Date de création : 2021-06-09.

Dernière modification : 2022-06-29.

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Bibliographie

« Représentation en deux dimensions des rapports sensoriels d’un sujet sensible à un espace géographique. Inventée récemment par quelques paysagistes en France, notamment B. Lassus, A. Freyet et A.Mazas, la carte sensible représente suggestivement l’espace tel qu’il peut être perçu, ressenti et interprété par un sujet sensible aux formes du paysage. Elle indique des entités et des ambiances paysagères, des limites et des continuités, des ruptures, des transitions et des passages, des éléments remarquables, historiques ou non. Elle est fondée sur des codes de couleurs non conventionnels qui suggèrent les qualités de l’espace, notamment à partir du relief, et invite à sa lecture à la façon des plasticiens. »

Pierre Donadieu, Élisabeth Mazas, Des mots de paysage et de jardin, Dijon : Educagri, 2002, p.55


« Du point de vue de leur forme et de leur contenu, nous proposons de qualifier les objets produits de “cartographies narratives et sensibles”. La notion de “cartographie narrative” est de plus en plus mobilisée en géographie (Caquard, 2013) […]. Les cartes narratives dont il est question ici ne servent pas à représenter et analyser des récits pré-existants. Le geste cartographique intervient en support et accompagnement du processus narratif lui-même. Récits de cheminements dans la ville de Marrakech, récits de voyages migratoires entre l’Afrique et l’Europe, les cartes produites sont des cartes d’itinéraires spatio-temporels, construites à partir de séquences qui se matérialisent par un sens de lecture. Mais cet ordre narratif n’est pas exclusif. Les cartes narratives reposent sur une lecture tant séquentielle que spatialisée. »

Sarah Mekdjian, Élise Olmedo, « Médier les récits de vie. Expérimentations de cartographies narratives et sensibles », Mappemonde, 118, 2016, [en ligne] : http://mappemonde.mgm.fr/118as2/ (06/05/21)

Art
Julie Arménio, Compagnie Ru’Elles,
Anthropologie
Karine Gatelier, Association Modus Operandi,
Géographie
Lise Landrin, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, 38000 Grenoble, France,
Géographie
Claire Revol, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, 38000 Grenoble, France

Nous sommes un collectif composite, Julie Arménio (artiste), Karine Gatelier (anthropologue dans l’association Modus Operandi), Lise Landrin (docteure en géographie à Pacte, UGA) et Claire Revol (MCF à l’UGA, Pacte). Nous avons exploré les potentiels de la carte sensible notamment dans des ateliers avec des groupes d’étudiant.es (Arménio et al., 2021) avec un double enjeu : restituer le vécu d’un parcours dans l’espace pour le décrypter d’abord ; et en faire la base d’un outil de composition théâtral ou dansé ensuite.

Des cartographies sensibles pour une géographie critique

La carte est probablement l’outil des géographes par excellence, celui avec lequel la discipline a souhaité s’instituer comme science des territoires. Les études critiques de la géographie ont déconstruit depuis les années 1970 l’idée d’une cartographie objective : il est désormais communément admis que la carte est une représentation du monde et qu’elle ouvre la voie à des interprétations diverses. Si le but de la cartographie critique consiste à montrer en quoi la carte est un instrument de pouvoir, la cartographie sensible quant à elle souhaite assumer que nos appréhensions et nos vécus de l’espace sont irrémédiablement situés.

Aujourd’hui plusieurs collectifs se constituent en France comme à l’international pour engager des recherches entre géographes, artistes et collectifs d’habitant.es autour des cartes sensibles comme outil de médiation de nos différents rapports à l’espace et des rapports de pouvoirs situés.

L’intérêt de cette production cartographique, c’est qu’elle n’est pas conçue comme une représentation de savoirs déjà acquis mais comme une occasion d’apprentissage et d’observation qui affûte les sensibilités concrètes - des émotions, des ressentis, des peurs, des désirs - qui s’éveillent dans nos traversées quotidiennes ou exceptionnelles de l’espace. Faire une carte sensible, c’est s’intéresser au geste cartographique qui révèle en dessinant ce qui compose notre rapport à un espace. Et si le résultat de la carte n’est pas spontanément compréhensible par toutes et tous, c’est parce que tout rapport à l’espace est situé, qu’il demande à être contextualisé, explicité et partagé. La fabrication de la carte sensible devient donc également une occasion de rencontre et de décentrement pour appréhender la logique de l’autre et participe à la production de savoirs.

Une création originale : la carto-strates

À partir d’une idée originale de Julie Arménio, nous avons expérimenté la carto-strates. Celle-ci repose sur le principe d’un espace palimpseste, fait de plusieurs couches de sens. Non seulement l’espace est parsemé de traces de l’Histoire mais au sein d’une même journée, l’espace est composé de mouvements, de frontières, d’occupations, de vivant et de non vivant. Le principe de la superposition de différents calques permet de porter sa sensibilité sur ces éléments combinés à tour de rôle, pour voir ensuite comment ils font corps ensemble avec des dissonances, des effets de ruptures, des logiques d’évitement dans l’espace exploré.

Cette carto-strate repose sur un processus qui peut se diviser en quatre temps :

  1. La pratique d’une observation ou d’une dérive dans un espace défini qui peut durer de quelques minutes à plusieurs heures, avec des contraintes attentionnelles sur une dimension choisie ;
  2. L’écriture et le dessin d’un calque individuel ou collectif à l’issue de chaque séquence ;
  3. Le partage des cartes ainsi produites au sein d’un collectif pour décrypter et révéler les espaces, leurs ressentis et leurs gestuelles ;
  4. L’utilisation de la carte à différentes étapes de composition pour trouver des lieux de performance, ou préciser des gestes et des spatialités en fonction d’une observation.

Elle peut s’envisager pour des parcours à différentes échelles, de celle d’un tramway à celle de tout un quartier.

La carto-strates est un atout précieux d’observation, d’analyse et d’incorporation des espaces urbains qui permet de restituer un parcours des sens et un ensemble de recherche sur l’espace traversé. Elle est aussi moteur stimulant de création pour des pratiques de composition théâtrales, dansées, performées.

Pour prolonger :

Arménio, J., Gatelier, K., Landrin, L. & Revol, C., (2021), Violente Paix. Workshop in situ les corps pensants, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03156270.

Compagnie Ru'elles – Laboratoires de rue et création in situ

Pour citer : Julie Arménio, Karine Gatelier, Lise Landrin, Claire Revol, « Cartographie sensible », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177603

Sébastien Caquard, « Cartography I. Mapping narrative cartography », Progress in Human Geography, 37, 1, 2013, pp.135-144

Sophie Gaujal, « La cartographie sensible et participative comme levier d’apprentissage de la géographie », VertigO. La review électronique en science de l’environnement, 19, 1, 2019, [En ligne] : http://journals.openedition.org/vertigo/24604 (05/05/21)

Sarah Mekdjian, Marie Moreau, « Redessiner l'expérience : art, sciences et conditions migratoires », antiAtlas Journal, 1, 2016, [en ligne] : http://www.antiatlas-journal.net/01/re-dessiner-lexperience-art-science-et-conditions-migratoires (06/05/21)

Élise Olmedo, « Cartographie sensible. Tracer une géographie du vécu par la recherche-création », [Thèse de doctorat], Paris 1, 2015

Élise Olmedo, Jeanne-Marie Roux, « Conceptualité et sensibilité dans la carte sensible. Concepts au prisme de l’épistémologie de la géographie », 2014, Autour de Jocelyn Benoist. Actes de la journée organisée par Raphaël Ehrsam le 4 juillet 2013, Florian Forestier dir., Paris : Implications philosophiques, 2014, pp.36-57