Géographie
Pauline Guinard, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, 38000 Grenoble, France
Maîtresse de conférences en géographie à l’École normale supérieure de Paris, Pauline Guinard mène des recherches sur les relations entre villes et arts. Depuis quelques années, elle s’attache à étudier le rôle des émotions dans la production des villes contemporaines dans une démarche de recherche-création.
Depuis quelques années, je m’intéresse au rôle des émotions dans les relations que les individus et les groupes entretiennent avec l’espace, en particulier urbain. Qu’est-ce qui fait qu’un lieu, qu’un quartier ou qu’une ville nous attire, nous effraie ou bien encore nous attriste ? Pourquoi ces espaces sont associés chez certaines personnes, à différents moments de la journée, de l’année, etc., à telle ou telle émotion ? Étudier les émotions en géographie suppose de disposer de méthodes, qui soient capables de saisir cette dimension émotionnelle et plus largement sensible de nos rapports aux espaces. Cet enjeu méthodologique est d’autant plus crucial que, comme l’ont montré Anne Volvey, Yann Calbérac et Myriam Houssay-Holzschuch, les outils mobilisés jusqu’à récemment par les géographes sont essentiellement discursifs (entretiens, questionnaires, analyse de discours, etc.) et visuels (observations, cartes, photographies, etc.). Dès lors, comment parvenir à appréhender en géographes les émotions dans toutes leurs dimensions, alors que celles-ci sont souvent multi-sensorielles et non nécessairement verbalisées ? La prise en compte des émotions implique donc de (ré)inventer les méthodes à disposition des géographes.
C’est pour répondre à cet enjeu que Jean-Baptiste Lanne et moi-même avons mené à partir de 2019 dans le cadre du séminaire « Géographie des émotions » une série d’ateliers méthodologiques expérimentaux destinés à élaborer collectivement des méthodes de saisie et d’analyse des émotions. À chaque séance, un invité proposait à l’ensemble des participants une méthodologie d’enquête, faisant fréquemment appel à des médiums artistiques (poésie, théâtre, dessin, etc.), qu’il s’agissait de tester collectivement, avant d’en discuter les apports et les limites. Lors d’une séance, Lise Landrin nous a par exemple invités à explorer le « théâtre déclencheur » comme manière d’accéder par les mots mais aussi par nos corps à nos propres émotions et à celles des autres.
De telles expériences nécessitent néanmoins de construire une relation de confiance avec l’ensemble des participants, indépendamment de leur statut (enseignant, chercheur, étudiant, artiste), de façon à ce que l’expression des émotions de chacun ne se mue pas en jugement de valeur. Outre le fait que le recours à des méthodes artistiques faisant plus directement appel au sensible et au subjectif élargissait l’éventail des possibles sur le plan méthodologique, l’expérimentation permettait – selon une démarche essai-erreur – d’éprouver les potentialités de chaque méthode afin d’en valider, d’en amender ou d’en invalider tel ou tel aspect. Le caractère expérimental assumé des méthodes proposées pour appréhender les émotions a par ailleurs conduit les participants de ces ateliers à accepter que l’erreur fasse partie de l’expérience, et par là-même du processus d’apprentissage et de la production des connaissances. L’échec n’était alors plus conçu comme la fin de quelque chose mais bien comme une étape, souvent nécessaire, de la construction des savoirs et des savoir-faire sur les émotions.
L’intérêt de l’expérimentation, et plus encore de l’expérimentation créative, repose en outre sur le fait que celle-ci favorise l’épanouissement de démarches plus collaboratives. La participation de publics divers à ces expériences, et la valorisation des savoirs de chacun, peuvent en effet être un moyen de réduire l’incertitude de l’expérimentation, et par là-même de pousser encore plus loin cette dernière.
Pour prolonger :
Pauline Guinard, Jean-Baptiste Lanne, « Emotions from and beyond the classroom. An experiment in teaching and sharing emotional methodologies in a geography course », Journal of Geography in Higher Education, 2021, [en ligne] : https://doi.org/10.1080/03098265.2021.1977916 (12/10/21)
Pour citer : Pauline Guinard, « Expérimentation », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177829