Études théâtrales
Séverine Ruset, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Enseignante-chercheuse en arts de la scène, je travaille sur la création scénique contemporaine en France et en Angleterre. J’articule dans mes travaux l’étude des œuvres à celle de leurs contextes de production, avec une attention marquée pour les modes d’organisation interne qui sous-tendent leur création.
Mon intérêt pour les enjeux liés tant au rapport de la scène au réel qu’aux formes de structuration du collectif qui s’y déploient, m’a récemment conduit à me pencher sur l’essor des créations participatives à l’œuvre depuis une dizaine d’années au sein du théâtre public français. S’il n’est pas rare que les artistes qui les portent expriment l’intention de dynamiser le rapport scène/salle, ces créations ne donnent pas nécessairement lieu, loin de là, à des dispositifs visant à faire du public des acteurs de la représentation. Il convient donc de les différencier des spectacles participatifs. Ce n’est pas en effet seulement dans le présent de l’événement scénique, mais également au cours des processus de création, qu’elles sollicitent la contribution de celles et ceux qu’on désigne comme des « participants », pour les distinguer à la fois du public et des professionnels de la scène auxquels la fabrique des œuvres est habituellement réservée. Pour l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib, le théâtre a longtemps été considéré comme une affaire d’experts. Un enjeu majeur de la participation serait alors de décloisonner la création en l’ouvrant, au sein des institutions publiques, à l’apport de personnes qui n’ont pas été rompues à ses conventions et qui apparaissent de ce fait comme « innocentes », pour reprendre un terme auquel le metteur en scène Didier Ruiz recourt volontiers pour les caractériser. La contribution de ces personnes se trouve généralement légitimée pour les qualités extrinsèques à la pratique scénique qui lui sont prêtées, comme c’est notoirement le cas avec le collectif berlinois Rimini Protokoll, qui valorise les non-acteurs avec lesquels il collabore régulièrement comme des « experts du quotidien ».
Les travaux que je consacre actuellement à ces démarches participatives me conduisent à dépouiller les programmations (afin de déterminer la place qu’elles occupent au sein des scènes institutionnelles), à analyser les discours que les artistes et prescripteurs du théâtre public portent sur elles et à suivre sur le terrain quelques processus de création choisis. Ils montrent que le souci d’inscrire la participation au cœur de la création relève fortement de l’idéal démocratique et des valeurs émancipatrices dont se réclame le théâtre public, mais qu’il ne garantit nullement leur effectivité. Outre le fait qu’il s’accorde parfois difficilement avec l’exigence de qualité, couplée à celle de singularité artistique, sur laquelle le théâtre public est également fondé, il subit l’influence des logiques néo-libérales, qui peuvent produire des effets diamétralement opposés à ceux originellement visés. À l’instar de la participation dans les affaires publiques, qui peut aboutir, selon les modalités de sa mise en œuvre, à un large spectre de résultats, allant de la manipulation au contrôle citoyen, la participation dans la création artistique agit très inégalement sur celles et ceux qu’elle implique, comme sur le monde du théâtre public au sein duquel elle se développe. Un des enjeux de ma recherche est de cartographier le paysage très hétérogène de la création participative, en mettant en relief le caractère déterminant de certains critères distinctifs, à commencer par le profil des participants sollicités/mobilisés, et leur niveau d’implication, de la simple figuration à la co-écriture des œuvres.
Pour citer : Séverine Ruset, « Participation », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177857